Présentation du mouvement humanitaire en ALLEMAGNE

 
 
Nombre d'ONG de solidarité internationale 150 opérationnelles parmi 2 000 associations caritatives avec une dimension internationale en 1992.
Plates-formes d'ONG laïques

-VENRO (Verband Entwicklungspolitik Deutscher Nichtregierungsorganisationen), qui remplace en 1995 une coalition de 80 ONG, la Bensheimer Kreis, et qui prend le nom d’Association for Development Assistance and Humanitarian Aid (Verband Entwicklungspolitik und Humanitäre Hilfe) en 2014, avec 145 membres en 2024.
-BUKO (Bundeskongress Entwicklungspolitischer Aktionsgruppen, ou Federal Congress of Development Policy Advocacy Groups) depuis 1977, 200 membres.

Plates-formes d'ONG religieuses -AGKED (Arbeitsgemeinschaft Kirchlicher Entwicklungsdienst, ou Association of Church Development Service), regroupement protestant qui comprend : la centrale EZE (Evangelische Zentralstelle für Entwicklungshilfe), l’organisation de volontaires outre-mer Dienste in Übersee, l’ONG d’aide alimentaire Brot für die Welt, le service de développement de l’Eglise KED (Kirchlicher Entwicklungsdienst), le département des missions EMW (Evangelisches Missioswerk) et les secours d’urgence de la Diakonisches Werk der evangelischen Kirche.
-KZE (Katolische Zentralstelle für Entwicklungshilfe) : regroupement catholique qui est lié institutionnellement à Misereor et qui patronne l’organisation de volontaires pour le développement outre-mer AGEH (Arbeitsgemeinschaft für Entwicklungshilfe). Comprend 90 membres, dont des ONG missionnaires comme Missio et Adveniat.
ONG " parapubliques " GTZ (Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit) pour la mise en œuvre technique des programmes de coopération du gouvernement, de 1965 à 2011.
Statut des ONG

-Simple association e.V. (eingetragener Verein) qui dispose d’une personnalité légale à partir du moment où elle est enregistrée auprès d’une cour locale (amtsgerichte) au titre des articles 21-79 du code civil BGB (Bürgerliches Gesetzbuch).
-Association à but non lucratif Verband, avec un statut plus formel d’intérêt public.
-Fondation Stiftung enregistrée au niveau des länder au titre des articles 80-88 du code civil.

Avantages fiscaux

-Défiscalisation partielle des activités et des dons en fonction de la reconnaissance d’utilité publique (Gemeinnützigkeit) au titre des articles 51-68 du code fiscal AO (Abgabenordnung)

-Denier du culte pour les ONG confessionnelles.

Système d'accréditation

-Par défaut : retrait des avantages fiscaux.
-Institut central des Affaires sociales DZI (Deutsches Zentralinstitut für Soziale Fragen). Etabli à Berlin, il émet des recommandations pour le grand public.

Aide publique au développement
(APD)
22 milliards de dollars (2019)
% APD/PNB 0,7% (2024)
% APD destiné aux ONG
(non compris les avantages fiscaux)

9% (1992)
9% (1996)
9% (1997) 
20% (1998)

Proportion moyenne de financements privés
dans les ressources des ONG de solidarité internationale

68% en 1993 
60% en 1997

Champs d'interventions géographiques des ONG,
par ordre décroissant d'importance
Afrique subsaharienne, Amérique latine/Caraïbes, Asie Centre & Sud, Asie Est & Océanie, Afrique du Nord/Proche orient.
Institution gérant l'APD

-Société allemande pour la coopération internationale GIZ (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit) : issue de la fusion en 2011 de la GTZ (Deutsche Gesellschaft fu?r Technische Zusammenarbeit), du Service allemand de développement DED (Deutscher Entwicklungsdienst gGmbH) et de l’Institut pour le renforcement des capacités et le développement international InWent (Internationale Weiterbildung und Entwicklung).

-Institut de crédit à la reconstruction KfW (anciennement Kreditanstalt für Wiederaufbau), actif depuis 1948 au niveau national et international.

Organisme de contrôle des ONG

-Ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement BMZ (Bundesministerium für Wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung).

Interface ONG / Etat

-Subdivision 32, BMZ.
-Conseil des ONG de développement depuis 1988 : BENGO (Beratungsstelle für private Träger in der Entwicklungszusammenarbeit).

Financement public des ONG du Sud -Oui, essentiellement via les fondations, ce qui suscite la réprobation des autres ONG allemandes contre l’éventualité de voir se créer des “ coquilles vides ” établies à seule fin de capter des financements.

 



Une brève histoire des origines de l’engagement associatif et de l’action humanitaire en Allemagne


Comme ailleurs en Europe, la tradition humanitaire allemande puise en grande partie ses origines dans les œuvres caritatives des catholiques et des protestants. Celles-ci jouent encore aujourd’hui un rôle important. Avec des organisations fondées en 1848 et 1897 respectivement, les protestants de Diakonisches Werk et les catholiques de la DCV (Deutscher Caritasverband) comptent ainsi parmi les six plus gros conglomérats de bienfaisance du pays, aux côtés de la Croix Rouge DRK (Deutsches Rotes Kreuz, depuis 1864), du groupement laïc DPW (Deutscher Paritätischer Wohlfahrtsverband, depuis 1924), des socio-démocrates de l’Union des travailleurs (Arbeiterwohlfahrt, depuis 1919) et de l’Association pour le bien être des Juifs en Allemagne (Zentralwohlfahrtsstelle der Juden in Deutschland), une organisation qui, fondée en 1917, a été dissoute par les nazis puis relancée en 1945 pour, essentiellement, assister les migrants juifs en provenance des pays communistes.


Historiquement, la Révolution industrielle puis la crise économique de la Re?publique de Weimar au sortir de la Première Guerre mondiale ont également suscité la création de nombreux syndicats (gewerkschaft), coopératives (genossenschaft) et mutuelles (vereinigung) qui ont contribué à poser les bases de mouvements de solidarité internationale. De son côté, le patronat s’est organisé en corporations (innung) ou en chambres de commerce (handelskammer) héritières des guildes médiévales. Le mécénat s’est développé sous l’égide de fondations (stiftung) tandis que l’élite se dotait de sociétés savantes (gesellschaft), à ne pas confondre avec les sociétés à responsabilité limitée (gesellschaft mit beschränkter haftung). Avec l’émergence d’un embryon d’Etat-providence au cours des années 1920, les relations avec les ONG se sont alors formalisées en vertu d’un principe dit de subsidiarité selon lequel les nécessiteux devaient s’adresser, par ordre de priorité, à leur famille, à leur paroisse, à leur collectivité locale, aux associations de bienfaisance et, en dernier recours seulement, aux services d’assistance sociale à l’échelle nationale. Inspirée de l’encyclique Quadragesimo Anno du pape Pie XI en 1931, cette doctrine avait aussi pour corollaire d’interdire aux pouvoirs publics d’empiéter sur les prérogatives des associations caritatives.


Mais l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler en 1933 a remis en cause l’indépendance des organisations privées à vocation humanitaire. Créé en 1931, le Secours populaire du parti national-socialiste, le NSV (Nationalsozialistisches Volkswohlfahrt), s’est arrogé un monopole et est en quelque sorte devenu le service d’assistance de l’Etat, avec 80 000 salariés. Fort de 12,5 millions de membres-donateurs en 1939, jusqu’à 17 en 1943, il a touché plus d’un foyer allemand sur deux et a supervisé les activités d’autres œuvres d’entraide qui ont également mis en œuvre des politiques d’eugénisme et d’épuration raciale, tel le Secours d’hiver du peuple allemandWHW (Winterhilfswerk des Deutschen Volkes). Directement placé sous la coupe du ministère de la propagande de Joseph Goebbels, ce dernier disposait ainsi de 10 000 salariés pour lever des fonds et distribuer des vivres, des vêtements et du charbon aux nécessiteux pendant les mois les plus froids de l’année. Comme le NSV, il a pu compter sur les contributions de plus d’un million de volontaires en 1939 et s’est en partie financé grâce aux revenus des propriétés confisquées aux Juifs. Seuls les « Aryens » pouvaient bénéficier de son aide.


Quelques associations nazies ont ensuite survécu à la Seconde Guerre mondiale. Fondée en 1951 par la petite-fille de Heinrich Himmler à Munich, « l’Aide silencieuse pour les prisonniers de guerre et les internés » (Stille Hilfe für Kriegsgefangene und Internierte), également appelée « l’Entraide brune » (Braune Hilfe), a par exemple assisté des survivants du IIIème Reich tels que Hans Münch, un docteur qui disait ne rien regretter des expériences médicales qu’il avait menées sur des Tziganes internés dans des camps de concentration. De 1979 jusqu’à son interdiction par le ministère de l’Intérieur en 2011, « l’Organisation pour les prisonniers politiques nationalistes et leurs familles » HNG (Hilfsorganisation für nationale politische Gefangene und deren Angehörige) a pour sa part fourni un soutien matériel et juridique à des détenus néonazis dont elle a accompagné la réinsertion sociale à la sortie de prison. Très marginales, ces initiatives ont cependant eu peu d’incidence sur la scène associative relativement à l’impact de la guerre froide et de la division de l’Allemagne en deux Etats après 1945.


A l’Est, le régime communiste de la RDA (Re?publique de?mocratique allemande) a en effet mis un terme aux velléités d’indépendance des organisations à vocation sociale. A l’Ouest, en revanche, la RFA (République fédérale d’Allemagne) a commencé en 1961 à financer une aide publique au développement qui a soutenu l’expansion des ONG humanitaires et qui visait explicitement à disposer d’un levier d’influence à l’international. L’objectif, en l’occurrence, était tout à la fois de dissuader les pays du Sud de reconnaître la RDA, d’une part, et de répondre aux demandes des Alliés qui souhaitaient voir la RFA participer à leurs efforts de coopération en vue d’endiguer la menace communiste, d’autre part. Au moment où l’Allemagne de l’Ouest connaissait une forte croissance économique, son aide au développement a ainsi été pensée comme une façon de compenser les excédents de la balance commerciale de Bonn et de contribuer à l’entretien des troupes occidentales massées sur son territoire pour empêcher une invasion soviétique.


Parce qu’elle s’interdisait officiellement d’assister les Etats ayant reconnu la RDA, la RFA a alors pris l’habitude de passer par des intermédiaires associatifs pour étendre son rayonnement outre-mer. En 1962, elle a ainsi été le premier pays membre de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques) à introduire un mécanisme de financement des ONG de solidarité internationale. Certes avec des limites : à l’exception des fondations politiques, par exemple, les subventions accordées par les pouvoirs publics ne devaient pas dépasser les trois quarts du coût d’un projet mené par une ONG. A l’époque, qui plus est, les associations de solidarité internationale n’ont pas échappé aux controverses sur les dérives tiers-mondistes des organisations les plus engagées en faveur des opprimés et des mouvements de libération. Chez les protestants, ce fut le cas d’un programme de lutte contre le racisme qui, lancé en 1970 par le Conseil mondial des églises, a été accusé par l’Eglise évangélique d’Allemagne, EkiD (Evangelische Kirche in Deutschland), de financer des terroristes et des guérillas d’obédience marxiste en Afrique australe, ceci sans prendre en compte les méfaits de la xénophobie de certains groupes extrémistes noirs. De leur côté, des ONG anticommunistes comme Hilfe in Not ont soutenu des mouvements armés qui combattaient les Sandinistes au Nicaragua, le MPLA (Movimento Popular de Libertação de Angola) en Angola ou les Soviétiques en Afghanistan, respectivement avec les Contras, l’UNITA (União Nacional para a Independência Total de Angola) et les moudjahidines financés par les Américains de l’Afghan Mercy Fund et les Suisses de la Schweizerisches Ostinstitut, une fondation proche de la WACL (World Anti-Communist League).


Très politiques, les années 1970 et 1980 ont aussi vu émerger des associations de plaidoyer dans une Allemagne de l’Ouest elle-même déstabilisée par des attentats terroristes et des protestations de masses contre la société d’abondance, l’industrie nucléaire et l’implantation de missiles américains. En 1986 à Heidelberg, des universitaires, des chercheurs et des militants tiers-mondistes montaient par exemple un lobby, le FIAN (FoodFirst Information & Action Network), qui allait se battre pour les paysans les plus pauvres et demander des redistributions de terres en Amérique du Sud et en Asie, où la pression foncière et le besoin des réformes agraires étaient plus pressants qu’en Afrique. Avec le soutien du FoodFirst Institute, son équivalent américain en Californie, le réseau s’est rapidement étendu et a bientôt revendiqué 6 000 membres, à 80% dans les pays d’Europe du Nord. Malgré les réticences de certains, le FIAN s’est également investi dans la défense des droits des femmes, en l’occurrence avec des syndicats locaux et l’ONG britannique Christian Aid pour garantir un revenu équitable aux cultivatrices de fleurs en Colombie, en Equateur et au Kenya. Dans les pays développés, enfin, le réseau a fait campagne en faveur du droit à l’alimentation, par exemple pour les demandeurs d’asile en Allemagne.


Une aide toujours très politique au sortir de la guerre froide


L’activisme des associations de solidarité internationale ne s’est évidemment pas arrêté à la fin de la guerre froide. Le FIAN, pour reprendre cet exemple, n’a ainsi pas hésité à organiser en 1998 des manifestations de rues devant les ambassades du Brésil au Mexique et aux Philippines pour exiger la mise en œuvre immédiate d’une réforme agraire. A l’occasion, le réseau s’est également heurté aux autorités locales, par exemple en Turquie où un de ses collaborateurs a été accusé d’espionnage et traduit en justice devant la Cour de sûreté de l’Etat à Ankara en 2002. De fait, la fin de la guerre froide et la réunification de l’Allemagne en 1990 n’ont pas mis un terme aux dynamiques politiques des organisations de solidarité internationale. Pour obtenir des fonds, Diakonisches Werk et la Caritas ont dû continuer de courtiser les démocrates-chrétiens de la CDU (Christlich Demokratische Union) ; de leur côté, Arbeiterwohlfahrt et Arbeiter-Samariter-Bund ont maintenu leurs relations privilégiées avec les socio-démocrates du SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands), tandis que Volkssolidarität était proche des socialistes du PDS (Partei des Demokratischen Sozialismus). Dans la diaspora turque, même une ONG humanitaire comme IHH (Internationale Humanitäre Hilfe) ne cachait pas ses sympathies pour les islamistes du parti de la prospérité, le Refah Partisi.


Le gouvernement allemand, lui, n’a pas été en reste. Sur la scène intérieure, d’abord, il a créé de nombreuses associations paragouvernementales pour contourner les pesanteurs de la fonction publique et gérer les fonds alloués par l’Ouest en vue d’accompagner en douceur l’intégration des länder de l’Est dans un nouveau cadre fédéral. A l’international, ensuite, il a continué d’utiliser son dispositif de coopération pour conforter ses zones d’influence outre-mer. Pays prioritaires au début des années 1990, la Tanzanie, le Cameroun et la Namibie accaparaient ainsi les deux tiers de son aide publique au développement ; à l’époque, le Togo était la seule ancienne colonie allemande d’Afrique à faire exception, en l’occurrence en raison d’un boycott de la communauté internationale suite à des violences électorales en 1992. Dans le même ordre d’idées, Berlin a toujours estimé que la mobilisation de capitaux prive?s et la promotion de son commerce exte?rieur avaient des effets positifs sur le de?veloppement. En principe, son dispositif de coopération n’obligeait pas à acheter des produits allemands. A l’occasion, il n’en a pas moins permis de remporter des contrats dans 50% des cas de transactions conclues en l’an 2000 par son Institut de crédit à la reconstruction, le KfW (Kreditanstalt für Wiederaufbau). Bien souvent, Berlin a par ailleurs essayé de lier son dispositif de coopération à la lutte contre l’immigration illégale. Officiellement, son aide publique au développement incluait par exemple l’assistance sociale aux demandeurs d’asile et les bourses accordées par les länder à des étudiants étrangers en Allemagne. Sa part dans le revenu national brut, qui avait diminué de 0,42% en 1990 à 0,27% en 2000, est alors remontée jusqu’à un pic de 0,83% en 2022 du fait de la crise migratoire de 2015 puis de la guerre en Ukraine.


Aujourd’hui, Berlin n’a nullement renoncé à mettre en œuvre une aide à la mesure des ambitions de la troisième puissance économique mondiale derrière les Etats-Unis et la Chine. Contrairement à d’autres pays europe?ens qui, comme la France, ont fusionné leur politique e?trange?re et de coope?ration, l’Allemagne reste un des seuls Etats membres de l’OCDE à avoir conservé un ministère à part entière pour superviser son assistance outre-mer. Cela tient, entre autres, aux logiques de coalition de gouvernements qui veulent garantir à des partis alliés de disposer chacun d’une instance pour agir à l’international. Malgré la montée en puissance du ministe?re fe?de?ral des finances BMF (Bundesministerium der Finanzen) en ce qui concerne les prêts accordés à l’Afrique, le BMZ (Bundesministerium für Wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung) continue ainsi de canaliser les deux tiers de l’aide publique au développement. De plus, il dispose d’un droit de regard sur les lois votées au Bundestag pour s’assurer qu’elles sont compatibles avec ses objectifs, tant au niveau national qu’européen. Depuis 1998, un représentant du BMZ siège par ailleurs au Conseil de sécurité nationale (Bundessicherheitsrat), ce qui lui confère aussi un rôle dans l’élaboration de la politique de défense de Berlin. Autre particularité significative, l’armée a sa propre ONG humanitaire, Lachen und Helfen, qui est financée par des cotisations privées, des subventions publiques et un prélèvement automatique sur les communications téléphoniques du personnel de la Bundeswehr déployé en opération extérieure.


Des ONG puissantes en Allemagne mais encore peu présentes à l’international


Depuis 1990, la réunification de l’Allemagne a finalement conforté la pérennité d’un secteur non lucratif basé sur des principes de subsidiarité, d’autonomie et d’économie sociale (gemeinwirtschaft). Avec des ressources équivalentes à 94,4 milliards de dollars en 1995, celui-ci représentait 3,9% du produit intérieur brut et 4,9% de l’emploi non agricole, voire 8,8% si l’on y incluait les congrégations religieuses et la part du bénévolat. A l’époque, des études montraient par ailleurs qu’un Allemand sur cinq consacrait du temps à une organisation sans but lucratif. A l’échelle du pays, on comptait environ 630 associations pour 100 000 habitants, certes avec une moindre proportion d’adhérents à l’Est. L’Allemagne se caractérisait surtout par un nombre record de fondations (stiftung), la plus forte intensité au monde après les Etats-Unis. Cependant, la moitié des 5 400 fondations enregistrées en 1990 étaient nées après 1980, les plus anciennes ayant perdu leur capital et déposé le bilan du fait de l’hyperinflation des années 1920 puis 1940. En 1990, qui plus est, l’Allemagne n’enregistrait officiellement que 250 000 organisations (verein) à vocation sociale, un chiffre relativement faible au regard de sa vitalité économique.


A l’échelle nationale, les ONG à vocation humanitaire n’en demeurent pas moins puissantes du fait du soutien indéfectible de la puissance publique. A un premier niveau, l’Etat accorde ainsi des exemptions d’impôts aux églises, aux sociétés philanthropiques et aux organisations caritatives qui ont un caractère altruiste, une mission exclusivement sociale et une réelle capacité à mettre elles-mêmes en œuvre leurs programmes d’assistance. Ces trois conditions impliquent, entre autres, que les ONG en question présentent un intérêt public, qu’elles ne poursuivent pas de but lucratif, qu’elles ne mènent pas d’activités commerciales et que leurs excédents de trésorerie ne sont pas redistribués à leurs membres. A un second niveau, l’Etat finance par ailleurs les œuvres sociales en vertu d’un principe de subsidiarité, notamment dans les secteurs de la santé et des services d’assistance aux nécessiteux. En moyenne, il fournissait par exemple 64,3% de leur revenu en 1995, une part qui tombait à 42,5% quand on prenait en compte la contribution des bénévoles.


A l’époque, les efforts de l’Etat se concentraient certes sur les plus grosses organisations à vocation sociale ; seulement un tiers d’entre elles dépendaient à plus de 50% des subventions publiques. En vertu d’un principe d’auto-administration, il est en effet entendu que les associations à but non lucratif doivent d’abord compter sur leurs propres moyens. Statutairement, beaucoup d’entre elles comprennent ainsi une composante économique dont elles sont légalement responsables et qui prend généralement la forme d’une « corporation spécialisée » (zweckbetrieb) pour financer la mission sociale de leur « organisation volontaire » (trägergesellschaft). Le constat vaut pour les associations de solidarité internationale, qui ont dû compenser la diminution de leurs subventions publiques, passées de 76,9% de leurs ressources en 1990 à 51,3% en 1995. Au sortir de la guerre froide, celles-ci ont alors dû développer des campagnes de collecte de fonds qui ont connu une croissance remarquable, bien supérieure à celle des autres ONG du secteur à but non lucratif. La part de leurs revenus tirés de la générosité du public a conséquemment augmenté de 16,8% en 1990 à 40,9% en 1995.


Les structures confessionnelles ont aussi dû s’adapter. A la différence du système français de séparation de l’Etat et du religieux, elles ont pour particularité de bénéficier du versement d’un denier du culte qui, collecté par le fisc, est assimilé à un impôt public et qui n’est donc pas comptabilisé dans les ressources privées des ONG de solidarité internationale. Dans la lignée de la Constitution de Weimar, l’article 140 de la Loi fondamentale de la RFA définissait ainsi les églises comme des « corporations de droit public ». Après avoir atteint près de 13 milliards d’euros en 2019, les montants perçus au titre de l’impôt dit « d’église » (kirchensteuer) ou du « culte » (kultussteuer) ont cependant eu tendance à diminuer du fait de la laïcisation du pays et de « l’évasion fiscale » des fidèles qui renonçaient à s’inscrire aux registres paroissiaux pour éviter de payer une taxe censée rester « volontaire ». En 1990, la réunification de l’Allemagne a d’ailleurs précipité le mouvement. A l’Est, la RDA était en effet un des pays les moins religieux du monde. A peine un quart de sa population disait y être protestante ou catholique, contre 85% à l’Ouest. Quoiqu’il en soit du denier du culte, les églises allemandes ont certes continué de recevoir des subventions du gouvernement fédéral et des länder. A l’étranger, leurs associations dites de « mise en œuvre » ont également été financées pour implémenter des programmes de développement qui les distinguaient des organisations dites « autonomes », essentiellement les fondations politiques. En général, les églises reçoivent à peu près la moitié des fonds versés aux ONG par le ministère de la coopération, l’autre moitié allant essentiellement aux fondations politiques, à peine 10% pour les structures laïques.


Fortes du soutien de l’Etat, les associations allemandes ont ainsi réussi à trouver leur place sur la scène internationale. A la différence du cas de la Charity Commission en Grande-Bretagne, cependant, leurs activités et les dérogations fiscales dont elles bénéficient sont peu contrôlées. A l’échelle régionale, 14 länder sur 16 ont certes entrepris d’encadrer les appels des ONG à la générosité du public, en particulier pour ce qui concerne les collectes dans la rue. Au niveau fédéral, un Institut central des Affaires sociales fondé à Berlin en 1893, le DZI (Deutsches Zentralinstitut für Soziale Fragen), a par ailleurs commencé en 1992 à accorder des certificats de déontologie financière qui ont permis de labeliser 143 organisations sur 233 candidats. Mais son objectif est d’abord d’archiver des informations sur les œuvres caritatives avec, autrefois, la publication d’un annuaire, le Graubuch, qui a recensé quelque 9 000 ONG depuis 1896, dont 2 100 à vocation sociale depuis 1906. De plus, le DZI ne s’intéresse guère aux associations de solidarité internationale. Quant aux initiatives de la société dite « civile », elles n’ont guère été plus probantes. Fondé par 35 ONG en 1993, le Conseil allemand des donations (Deutscher Spendenrat), par exemple, n’a pas évité les conflits d’intérêts et, à notre connaissance, il n’a jamais expulsé de membres une fois leur adhésion acquise.


Sources écrites


-Anheier, Helmut & Seibel, Wolfgang [2001], The nonprofit sector in Germany : between state, economy and society, Manchester, Manchester University Press, 228p.
-Development Assistance Committee [2001], Development Cooperation Review : Germany, Paris, Organisation for Economic Co-operation and Development, 113p.
-Hamm, Brigitte [2001], « FoodFirst Information & Action Network », in Welch, Claude Emerson (ed.), NGOs and human rights : promise and performance, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, pp.167-81.
-Ohm, Manfred [2021], La coopération allemande pour le développement : vers une évolution géopolitique ? Histoire récente, tendances actuelles et perspectives d’avenir, Paris, Ifri, Notes du Cerfa n°165, 33p.
-Randel, Judith & German, Tony [1999], « Germany », in Smillie, Ian & Helmich, Henny (ed.), Stakeholders : government-NGO partnerships for international development, London, Earthscan, pp.114-22.
-Salamon, Lester M., Anheier, Helmut K. et al. (ed.) [1999], Global civil society : dimensions of the nonprofit sector, Baltimore, Johns Hopkins Center for Civil Society Studies, 511p.
-Salamon, Lester M. & Anheier, Helmut K. (ed.) [1997], Defining the nonprofit sector : a cross-national analysis, Manchester, Manchester University Press, 526p.
-Schmidt, Heide-Irene [2003], « Pushed to the Front: The Foreign Assistance Policy of the Federal Republic of Germany, 19581971 », Contemporary European History n°4, pp.473-507.