Présentation du mouvement humanitaire au LIBÉRIA
Entre 1989 et 1997, le Libéria a connu une guerre civile qui, après la chute de la dictature Samuel Doe en 1990, a surtout mis aux prises le NPFL (National Patriotic Front of Liberia) de Charles Taylor et les deux factions mandingue et krahn de l’ULIMO (United Liberation Movement for Democracy), la première dirigée par Alhadji Kromah, la seconde commandée par Roosevelt Johnson. Devait également débarquer à Monrovia une force d’interposition régionale de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO, ou ECOWAS d’après son acronyme anglais) : l’ECOMOG (ECOWAS Monitoring Group), composée, pour l’essentiel, de troupes nigérianes et d’abord cantonnée dans la capitale, puis le long de la côte jusqu’à Buchanan après 1992. Tandis que l’arrière-pays continuait d’être ravagé et vidé de sa population par les seigneurs de guerre, un gouvernement intérimaire mais sans véritable autorité était mis en place sous la conduite du président Amos Sawyer à Monrovia.
En 1997, une relative accalmie permit alors d’organiser des élections qui portèrent Charles Taylor au pouvoir. La situation devait cependant rester très volatile car celui-ci a continué d’accorder son soutien aux guérilleros du RUF (Revolutionary United Front), qui combattaient dans la Sierra Leone voisine, et a repoussé l’opposition libérienne sur la voie de la lutte armée, avec des anciens de l’ULIMO qui, en 1999, se sont regroupés à la frontière guinéenne pour repartir à l’assaut du pouvoir sous les auspices du LURD (Liberians United for Reconciliation and Democracy).
Les hostilités de la période 1989-1997 ont poussé une bonne moitié de la population libérienne sur la voie de l’exil, soit dans les camps de réfugiés des pays voisins, soit dans la diaspora en Occident, essentiellement aux États-Unis. Quant à l’autre moitié, elle est surtout allée trouver abri dans la capitale, Monrovia, dont la population a plus que doublé. Toutes proportions gardées, l’aide déversée au Libéria a été importante pour un petit pays qui, en temps normal, était largement autosuffisant sur le plan alimentaire. Mais les ressources locales (caoutchouc, fer, bois, pierres précieuses) étaient suffisamment abondantes pour financer les belligérants. Les secours, s’ils ont maintes fois été détournés, n’ont donc pas joué un rôle aussi structurant, sur le plan militaire, que dans des pays comme la Somalie ou l’Éthiopie.
La manne humanitaire a, en revanche, suscité bien des vocations locales. Avant la guerre, le Libéria ne comptait qu’une douzaine d’ONG au sens “ moderne ” du terme, abstraction faite des Eglises et des associations d’originaires, qui jouaient un important rôle social, ceci sans parler de la Croix-Rouge locale, la Liberian National Red Cross Society, qui datait de 1919. Au pouvoir depuis 1980, la dictature Samuel Doe avait plutôt réprimé les initiatives de la société dite « civile » en vue de demander des changements démocratiques, telle la NARDA (New African Research and Development Association) à partir de 1987. Les militaires avaient notamment décapité la direction d’une des ONG les plus célèbres du Libéria, Susukuu, qui avait été créé par des intellectuels en 1971 et nommée en référence à deux mots (susu et kuu) désignant respectivement des tontines et des travaux communautaires dans les champs. Proche du Movement for Justice in Africa, un parti clandestin fondé début 1973, celle-ci avait d’abord manifesté son opposition au régime du président William Tolbert, au pouvoir de 1971 à 1980. Mais ses membres fondateurs avaient ensuite fait les frais de la dictature Samuel Doe : Siapha Kamara finissait en prison tandis qu’Amos Sawyer était contraint departir en exil. Devenu président du Movement for Justice in Africa puis du Liberian People’s Party, le directeur de Susukuu, le Docteur Togba-Nah Tipoteh, était quant à lui accusé d’avoir trempé dans une tentative de coup d’Etat en 1981. Renvoyé de ses fonctions gouvernementales, il devait d’ailleurs poursuivre sa carrière politique au sein d’organismes comme l’IGL (Interest Groups of Liberia), une plateforme rassemblant 25 organisations nationales au sortir de la conférence souveraine de 1990 (la All-Liberia Conference).
Après la chute de la dictature Samuel Doe, la poursuite de la guerre bouleverse alors la donne en précipitant l’afflux d’ONG occidentales dans la capitale. Nonobstant le CICR, le gouvernement intérimaire en recense une vingtaine en 1991, parmi lesquelles Action Contre la Faim, les sections belge, française et hollandaise de Médecins sans frontières, les Britanniques d’Oxfam et Save the Children, les Irlandais de Concern et GOAL, et les Américains de Catholic Relief Services, du Christian Reformed World Relief Committee, du Church World Service, de Community of Caring, de Plan International, de World Vision, de l’Adventist Development Relief Association, du Baptist Relief et du Lutheran World Services. A ceci s’ajoutent les ONG locales qui ont réussi à subsister ou qui se créent pour prendre le relais avec des financements du Nord. Confinées à des objectifs très ponctuels, la plupart restent certes à l’intérieur de Monrovia, sous la protection de l’ECOMOG. Créée en 1975, la CHAL (Christian Health Association of Liberia) soutenait par exemple des dispensaires ruraux à travers tout le pays. Mais les combats des années 1990 l’obligent à recentrer ses programmes sur les seules régions de Monrovia et Tubmanburg, en l’occurrence en distribuant des vivres et en assurant une veille nutritionnelle par l’intermédiaire des Eglises regroupées au sein de cellules appelées CCC (Concerned Christian Communities). Il faut attendre les élections d’août 1997 pour que les opérateurs humanitaires puissent circuler plus facilement et se déployer pleinement dans l’arrière-pays. Résultat, les ONG locales commencent à ouvrir des branches en dehors de la capitale et à prendre une ampleur nationale. Elles sont officiellement quelque 300 lorsqu’en juillet 2002 se tient à Ouagadougou une conférence de réconciliation présidée par Amos Sawyer et boycottée par le gouvernement de Charles Taylor du fait qu’elle réunit les guérilleros du LURD et les acteurs organisés de la société civile : associations de solidarité, barreau, presse, mouvements étudiants, opposants en exil, leaders religieux, etc.
Pour mémoire, les principales ONG libériennes créées pendant la guerre sont citées ci-dessous. A quelques exceptions près, elles sont toutes établies à Monrovia et ont perduré après la chute du régime de Charles Taylor en 2003 et l’élection de la présidente Ellen Johnson-Sirleaf en 2006.
- CAP (Children’s Assistance Program) : fondée à Monrovia en 1994, cette structure a une vocation éducative et vise à faciliter la démobilisation des enfants soldats à travers le pays, et pas seulement dans la capitale.
- CEDE (Centre for Democratic Empowerment) : lancé début 1994 par le président intérimaire Amos Sawyer, le CEDE a pour objectif de faciliter la démocratisation du Libéria avec l’aide des Etats-Unis et de la Fondation Carter. Liée à un gouvernement très corrompu, l’institution a cependant mauvaise presse, à tel point que ses locaux sont détruits par des citadins en colère à l’occasion de manifestations à Monrovia en décembre 1994. Les bureaux du CEDE seront de nouveau mis à sac lors des combats qui mènent à la chute du régime de Charles Taylor en août 2003.
- IFMC (Inter-Faith Mediation Commission) : première ONG libérienne à avoir tenté de négocier un cessez-le-feu lors de son lancement en 1990, cette structure œcuménique compte des chrétiens du Liberian Council of Churches et des musulmans du National Muslim Council. Mais ses efforts de médiation sont compromis par sa proximité avec le gouvernement intérimaire d’Amos Sawyer, qui est au pouvoir à Monrovia de 1990 à 1994 et où un représentant de l’IFMC occupe le poste de deuxième vice-président. Résultat, l’institution perd en crédibilité car elle paraît biaisée. Au sein du gouvernement de transition qui se met en place à la suite des accords de paix d’Abuja d’août 1995, elle est notamment accusée par Charles Taylor et Alhaji Kromah d’avoir favorisé la fuite de leur rival Roosevelt Johnson lors du pillage généralisé de Monrovia en avril 1996. Après les élections de 1997, l’IFMC entreprend alors de renouveler ses instances dirigeantes sous la houlette de son nouveau président, Sheikh Kafumba Konneh, à partir de 1999.
- JPC (Catholic Justice and Peace Commission) : créée fin 1991, la Commission Justice et Paix du Libéria dépend du Vatican et soutient les initiatives de médiation de l’IFMC.
- LIURD (Liberian Islamic Union for Relief and Development) : fondée en 1991 par des Libériens exilés à Philadelphie, elle fait office de branche “humanitaire” de la faction mandingue et musulmane de l’ULIMO (United Liberation Movement for Democracy). A meilleure preuve, elle est seulement active dans les zones tenues par les guérilleros d’Alhadji Kromah, en l’occurrence dans la région de Voinjama.
- LNC (Liberia National Conference) : établie fin 1994, cette organisation tient plus du parti politique que de l’ONG, label qu’elle obtient au prétexte que son fondateur, Oscar Quiah, est le seul représentant de la société civile au Conseil d’Etat du gouvernement de transition en 1995. Originaire du comté de Sinoe, ce dernier a pendant longtemps louvoyé entre l’opposition et le gouvernement. Ministre de l’Intérieur après le coup d’Etat militaire de 1980, il a plusieurs fois été emprisonné sous les régimes de William Tolbert puis Samuel Doe.
- LUSH (Liberians United to Serve Humanity) : créée dans le fief de Charles Taylor, Gbarnga, en 1992, la LUSH travaille seulement dans les régions tenues par le NPFL (National Patriotic Front of Liberia), dont elle est concrètement la branche “humanitaire”.
- LWI (Liberian Women’s Initiative) : proche de l’IFMC et fondée par Mary Brownell, cette plateforme féministe est lancée pour participer à des négociations de paix à Accra au Ghana en 1994. Reprenant l’héritage de la Liberian Federation of Women’s Organizations, qui avait été interdite par la dictature Samuel Doe en 1980, elle n’a pas seulement vocation à soutenir les efforts de médiation, mais aussi à défendre les droits des femmes. A partir de 1995, elle est en l’occurrence dirigée par la veuve d’un éminent avocat, Ruth Perry, qui a été sénatrice de 1985 à 1989 et qui, devenue membre du Conseil d’Etat, préside brièvement le gouvernement de transition en 1996-1997. Début 1996, les combats et le pillage de Monrovia obligent cependant la LWI à s’installer momentanément à Freetown en Sierra Leone, où elle prend le nom de LAW (Liberian Alternative at Work for Peace and Democracy).
- MERCI (Medical Emergency and Relief Cooperative International) : créée fin 1991 par le LHC (Liberian Health Committee) avec le soutien de l’Unicef et de la section belge de Médecins sans frontières, l’institution a d’abord pour vocation de s’occuper des cliniques mobiles qui ont été mises en place en 1990 afin de soigner les populations venues trouver refuge dans les banlieues de Monrovia. A partir de 1992, ses entrepôts de médicaments sont gérés par le NDS (National Drug Service), une officine parapublique qui existait avant la guerre et qui est ressuscitée sous une forme associative. Grâce aux financements de l’étranger, MERCI prend alors de l’ampleur. En 1993, elle prétend couvrir 60% de la population, avec 2 hôpitaux, 25 dispensaires et 6 cliniques mobiles.
- MODHAR (Movement for the Defence of Human Rights) : établie en 1996 sous la houlette de Jappah Nah, cette ONG compte parmi les plus critiques à l’égard de l’autoritarisme du gouvernement de Charles Taylor après les élections de 1997. Ses membres sont d’ailleurs régulièrement harcelés par les services de sécurité de la présidence. Accusé de collusion avec les rebelles fin 2002, son directeur, Aloysius Toe, est notamment arrêté et emprisonné pendant huit mois avant de parvenir à prendre la fuite au Ghana quand le régime s’effondre en 2003.
- NAWOCOL (National Women’s Coalition of Liberia) : officialisée sous l’égide de Wata Modad en 1991, la Commission nationale des femmes du Libéria est née après le cessez-le-feu de 1990. S’inspirant d’un atelier monté par Save the Children en Grande-Bretagne, elle s’occupe notamment d’aider les victimes de viols. Après les accords de paix de 1996 et l’élection de Charles Taylor en 1997, elle étend son action au domaine pénal avec l’AFELL (Association of Female Lawyers of Liberia) d’Elizabeth Boyenneh, qui se charge de poursuivre les violeurs en justice. Réunissant 78 associations en 1999 contre 10 en 1991, la NAWOCOL élargit également son rayonnement géographique et obtient des financements internationaux pour démarrer des programmes de lutte contre le sida.
- SDP (Sustainable Development Promoters) : initialement spécialisée dans le développement agricole, l’ONG est fondée en 1992 avec le soutien de l’organisation américaine Plan International. Uniquement active dans les régions tenues par le NPFL, elle étend ensuite son champ d’opérations et commence à réhabiliter des anciens combattants dans le cadre des programmes de démobilisation financés par la communauté internationale après la chute du régime de Charles Taylor en 2003.
- SELF (Special Emergency Life Food) : créée en 1990 et cantonnée à la région de Monrovia, cette ONG est liée au gouvernement intérimaire d’Amos Sawyer et sert surtout à capter les fonds de l’assistance internationale. De ce point de vue, elle joue un rôle un peu similaire à celui des "branches humanitaires" des mouvements de rébellion armée dans l’arrière pays, telles la LUSH ou la LIURD. A sa manière, elle évoque également l’évolution de Susukuu, qui continue de mener quelques programmes éducatifs dans la capitale mais ne peut plus travailler en milieu rural, notamment dans son fief d’origine, le clan Putu des Krahn de l’ancien dictateur Samuel Doe. Historiquement, Susukuu a en l’occurrence été fondée en 1971 par les principaux responsables des administrations intérimaires de 1990-1995, à commencer par Amos Sawyer en personne, sans parler de Togba-Nah Tipoteh, un politicien qui organise des marches de la paix à Monrovia en 1996 et qui dirige une plateforme d’ONG établie en 1991 sous le nom d’IGL (Interest Groups of Liberia).
M.-A.P.d.M.
- Sources écrites - |
-Atkinson, Philippa [1997], The war economy in Liberia: a political analysis, London, Overseas Development Institute, Relief and Rehabilitation Network Paper n°22, 32p. |