L’étude des ONG / Les critères
Les critères de l'engagement idéologique et de la neutralité politique
En matière de positionnement stratégique, il faut bien distinguer l'engagement idéologique d'une ONG et son impossible neutralité politique sur le terrain. Entendons-nous sur ces concepts de neutralités idéologique et politique. La neutralité idéologique consiste à ne pas afficher d'a priori en faveur d'un camp avant d'être intervenu dans un pays en guerre. Une fois sur place, la neutralité politique revient à ne pas prendre parti pour un des belligérants. En pratique, un pareil objectif est irréalisable car les secours apportés à des populations en danger contreviennent forcément aux logiques guerrières. Instrumentalisée à des fins d'épuration ethnique ou de victoire militaire, la faim a toujours été une arme de guerre. Les soldats de l'Europe médiévale, déjà, assiégeaient des villes entières ; aujourd'hui, les combattants du tiers-monde n'agissent pas autrement. En théorie, d'ailleurs, les famines "naturelles" ne devraient même plus exister au vu des progrès de la technologie, qui permet de vaincre les aléas du climat, et du développement des transports, qui facilitent la circulation des excédents agricoles à destination des régions déficientes pour peu que celles-ci, justement, ne fassent pas l'objet d'un blocus militaire.
Deux logiques humanitaires s'affrontent à ce propos. L'une vise à fournir les secours à "égalité" entre toutes les parties en lice dans un conflit, quitte à privilégier des régions déjà bien approvisionnées et à élaborer les programmes d'assistance en fonction des rapports de force militaires plutôt que des besoins. Le Comité international de la Croix rouge (CICR), qui défend souvent cette position, a ainsi réussi à assurer une assez bonne couverture nationale de pays comme le Soudan ou la Somalie, ce qui lui a valu une réputation d'impartialité mais l'a obligé à nourrir des populations qui n'étaient pas forcément nécessiteuses. Moins onéreuse pour les petites ONG ne disposant pas des moyens financiers du CICR, une autre logique tend, au contraire, à essayer de répondre aux besoins observés sur place, ce qui suscite le mécontentement des laissés-pour-compte et range - malgré eux - les opérateurs humanitaires dans un camp politique.
L'impossible neutralité politique sur le terrain, cependant, se distingue de l'engagement idéologique. En effet, de prétendues ONG "humanitaires" se rangent délibérément dans un camp. Les "religieuses" sont, bien sûr, les premières concernées quand elles poursuivent un objectif prosélyte, qu'il s'agisse de fondamentalistes islamiques ou d'intégristes chrétiens. Toutes ne révèlent certes pas un biais politique très prononcé, y compris dans les guerres aux aspects confessionnels les plus saillants. Les ONG "œcuménistes", qui prônent le dialogue entre les religions, prennent soin de secourir les populations dans le besoin indépendamment des croyances individuelles. A l'inverse, des "laïques" adoptent des postures combatives, à commencer, évidemment, par les "branches humanitaires" des guérillas et les "sous-marins" de régimes autoritaires.
Faisant le constat d'une impossible neutralité politique sur le terrain, certaines ONG occidentales décident aussi de soutenir ouvertement un camp —les Scandinaves s'en sont fait une spécialité en Afrique australe, au Nicaragua et au Soudan. D'autres servent les intérêts de leurs Etats d'origine. Nul doute que les ONG, parce qu'elles sont placées aux premières loges, constituent des informateurs essentiels pour les diplomates —qui ont ensuite beau jeu de rechigner à aller récupérer leurs ressortissants en difficulté sur des terrains officiellement "interdits"— et les médias, dont les envoyés spéciaux pallient la disparition des correspondants de guerre en passant par le relais des humanitaires pour réaliser leurs reportages.