Présentation du mouvement humanitaire en ARABIE SAOUDITE

 
 

Caractéristiques du mouvement humanitaire en Arabie saoudite

 

Nombre d'ONG de solidarité internationale n.d.
Plates-formes d'ONG laïques 0
Plates-formes d'ONG religieuses 0
ONG " parapubliques " n.d.
Statut des ONG n.d.
Avantages fiscaux pas de défiscalisation spécifique des activités et des dons. De toutes façons, l'impôt sur le revenu n'existe pas et le domaine des fondations islamiques, le waqf, est automatiquement exempté des taxes foncières.
Système d'accréditation partiel depuis 2003
Aide publique au développement
(APD)
n.d.
% APD/PNB n.d.
% APD destiné aux ONG
(non compris les avantages fiscaux)
n.d.
Proportion moyenne de financements privés dans les ressources des ONG de solidarité internationale n.d.
Champs d'interventions géographiques des ONG, par ordre décroissant d'importance Afrique du Nord/Proche Orient, Afrique subsaharienne, Asie Centre & Sud
Institution gérant l'APD n.d.
Organisme de contrôle des ONG n.d.
Interface ONG / Etat n.d.
Financement public des ONG du Sud important
 



Dans le monde arabe, la monarchie saoudienne paraît des plus généreuses. Riche de ses pétrodollars, tout d'abord, elle a les moyens de financer une aide au développement qui, en l'occurrence, vise essentiellement les pays musulmans, en particulier la Palestine, et l'Afrique noire, terre de mission par excellence. De surcroît, le royaume wahhabite veut être un centre de rayonnement mondial de l'islam et il a complètement intégré puis institutionnalisé la tradition de l'aumône zakat en faveur des pauvres : une lecture humanitaire du Coran souligne en effet l'importance symbolique des secours apportés aux indigents et plus particulièrement aux réfugiés, par analogie à la retraite hijra du prophète à Médine. Au-delà des motivations religieuses, enfin, l'aide sert également des intérêts de politique étrangère. A l'instar des pays occidentaux, les grandes institutions régionales qui relaient la coopération internationale de l'Arabie saoudite répondent toutes à des objectifs stratégiques.

 


Fondée à La Mecque, la Ligue musulmane mondiale (Rabitat al-'Alam al-Islami) a ainsi été créée en 1962 pour contrer les idées républicaines du nassérisme à l'époque triomphant en Egypte. Dans le même ordre d'idées, l'Organisation de la Conférence Islamique, connue sous l'acronyme anglais d'OIC (Organization of the Islamic Conference), a été lancée en 1969 par le roi saoudien à Rabat, sur les terres de la monarchie chérifienne, pour rassembler les pays musulmans et adopter des positions communes après la défaite arabe contre Israël pendant la guerre des six jours. De façon conjoncturelle, il s'agissait aussi de réagir à l'incendie criminel de la mosquée d'al-Aqsa de Jérusalem, commis cette année-là par un chrétien australien, Michaël Rohan. A plus long terme, l'objectif était d'établir des principes d'entraide entre les États-membres et de propager un modèle musulman arabe. L'OIC s'est dotée à cette fin d'institutions spécialisées et, pour la plupart, basées à Jeddah, avec un « Unesco » islamique (l'Islamic Educational, Scientific and Cultural Organization), une banque de développement (l'Islamic Development Bank), une fondation pour la science (l'Islamic Foundation for Science, Technology and Development), un fonds de solidarité (l'Islamic Solidarity Fund) et une agence de presse (l'International Islamic News Agency). Pourvue d'une branche humanitaire appelée al-Ber, l'Assemblée Mondiale de la Jeunesse Musulmane, ou WAMY (World Assembly of Muslim Youth), a quant à elle été établie à Jeddah en 1972 afin d'éduquer et d'organiser la jeunesse suivant les préceptes de l'islam saoudien.
 

Des ONG opaques et difficiles à répertorier
Aux côtés des agences publiques d'aide, il existe par ailleurs toute une myriade d'ONG qui, à des degrés divers, se sont investies dans des actions humanitaires à l'étranger. Dans un pays aussi peu transparent que l'Arabie saoudite, il est quasiment impossible d'en connaître le nombre exact. De même, il est difficile d'apprécier le statut privé d'organismes qui entretiennent souvent des liens étroits avec le pouvoir, à défaut de bénéficier pleinement de la liberté d'association dans une monarchie de droit divin. Soucieux de contenir les velléités d'indépendances de la société civile, l'Etat subventionne en effet les ONG locales afin d'en prendre le contrôle et de casser les rapports privilégiés que la collecte de fonds privés permet d'entretenir avec la population. Son droit de regard financier est d'autant plus affirmé que les pouvoirs publics gèrent l'aumône zakat, impôt islamique qui équivaut à 2,5% du revenu annuel des musulmans sunnites, jusqu'à 10% pour le foncier et le bétail. Sachant l'importance de l'Etat-providence dans une monarchie pétrolière, l'idée n'est cependant pas de transformer les oeuvres caritatives des particuliers en prestataires de services sociaux. A travers les ONG déployées à l'étranger comme à l'intérieur du pays, les autorités cherchent plutôt à encadrer la contestation fondamentaliste, à favoriser le wahhabisme au sein de l'internationale islamiste et à canaliser les revendications des Etats musulmans pauvres qui se plaignent des différentiels de développement en faveur des monarchies du Golfe, " bénies " par la manne pétrolière.

De nombreuses fondations se sont développées à cet égard. Certaines ne sont pas opérationnelles et se contentent de financer des partenaires dans les pays en développement : soit des structures déjà existantes, soit des ONG créées de toutes pièces comme l'IRRC (Islamic Reformation and Research Centre), lancé en 1972 au Ghana par la Dar al-Ifta saoudienne (« la Maison de la fatwâ », qui coexiste avec un équivalent égyptien basé à l'Université Al-Azhar au Caire depuis 1895). D'autres disposent en revanche de bureaux à l'étranger et y envoient des expatriés. Etablie à Riyad et plus connue sous le nom abrégé d'Ibrahim al-Ibrahim, la fondation Ibrahim bin Abdulaziz al-Ibrahim a ainsi été enregistrée au Kenya avec un statut d'ONG en 1992. Dans le même ordre d'idées, la société islamique al-Huda, parfois orthographiée al-Hudah, a pris pied au Ghana sous la forme d'une association locale, légalisée en 1991.

En Arabie saoudite, le modèle le plus courant reste celui de la fondation. De fait, il correspond le mieux à la tradition caritative et pieuse du domaine du clergé, le waqf , qui comprend des mosquées, des écoles islamiques et des oeuvres sociales pour les indigents. De plus, les milieux de la finance se doivent d'investir dans les fondations philanthropiques. Dans un système de droit coranique qui prohibe l'usure, les banques islamiques reversent en effet une partie de leur profit à des oeuvres caritatives et elles sont souvent chargées de gérer la zakat de leurs clients les plus aisés. Le système des fondations, enfin, a les faveurs du patronat. De riches philanthropes comme Khalid bin Mahfouz et Yassim Abdullaziz al-Qadi ont ainsi établi une fondation de « l'assistance bénie » (Muwafaq al Khairiya) en 1991. Le premier possédait en l'occurrence la plus grosse banque du pays, la NCB (National Commercial Bank), tandis que le second était membre du conseil d'administration de Jamjoom (une compagnie qui fournissait en médicaments le secteur hospitalier en Arabie Saoudite), du groupe Badkook (une chaîne de restaurant qui a, entre autres, ravitaillé les troupes américaines déployées au Koweït en 1991) et de Global Diamond Resources (une société californienne basée à La Jolla et spécialisée dans l'exploration de diamants sud-africains). Issu d'une riche famille de commerçants de Jeddah, Yassim Abdulaziz al-Qadi a pris la direction de la fondation Muwafaq et y a investi plus de quinze millions de dollars. Beau-frère du roi Fahd bin Abdulaziz al-Saoud, le prince Abdulaziz al-Ibrahim a quant à lui lancé en 1989 une fondation à son nom, Ibrahim al-Ibrahim, et bénéficié d'un des plus gros prêts d'une banque fermée pour fraudes en 1991, la BCCI (Bank of Credit and Commerce International), avant d'acquérir en 1993 une agence de presse (l'United Press International) et une chaîne de télévision anglophone dans le monde arabe (la Middle-East Broadcasting Corporation)...
 

Prosélytisme et lutte armée : le mélange des genres
De telles caractéristiques mettent en évidence les spécificités de l'engagement humanitaire dans un pays où l'Etat n'est pas séparé de la religion. Outre qu'ils ne distinguent quasiment pas les aspects matériel ou spirituel de leurs secours, les acteurs de l'aide saoudienne concentrent en l'occurrence leurs efforts sur les seuls musulmans. Bien que le don personnel et volontaire (sadaqa) puisse théoriquement profiter à des individus d'autres confessions, l'aumône obligatoire et institutionnalisée (zakat) vise uniquement les croyants. De plus, les ONG saoudiennes révèlent une forte dimension prosélyte. Contrairement aux idées reçues, elles ne visent d'ailleurs pas à tant à convertir à l'islam des chrétiens, des animistes, des bouddhistes ou des athées. Leur principal objectif religieux est plutôt d'orienter les « mauvais » musulmans vers les enseignements rigoristes du wahhabisme constitutif de la monarchie saoudienne. De ce point de vue, l'Afrique noire et, dans une moindre mesure, l'Europe balkanique font figure de terres de mission, où la propagation d'un modèle fondamentaliste va intrinsèquement de pair avec la diffusion de la langue arabe. Du fait de sa proximité géographique, la côte swahili et musulmane de l'Afrique de l'Est a notamment retenu l'attention des humanitaires wahhabites, de la Somalie jusqu'au Mozambique en passant par la Tanzanie et le Kenya. Les petit pays et les Etats faibles de la région, en particulier, ont été l'objet d'un soutien appuyé car leur vulnérabilité offrait de vastes opportunités aux prédicateurs. Il en va ainsi des Comores, qui comptent seulement un demi million d'habitants et où le directeur de la fondation de la « construction » (al-Imar), Abdallah al-Marzouki, a par exemple inauguré en octobre 2002 la première grande bibliothèque arabe de l'archipel, le Centre Abubakar Assudik, à Itsandra au nord de Moroni...

La posture prosélyte, voire combative, des organisations caritatives saoudiennes ne correspond certes pas aux codes de conduite humanitaire qui prohibent le soutien à des mouvements de lutte armée et qui interdisent de discriminer les victimes en fonction de leur confession. Les ONG islamiques ont fréquemment refusé d'aider les « mauvais » musulmans et elles ont quasi-systématiquement évité de travailler en partenariat avec les confréries soufies, qui ne répondent pas à l'orthodoxie wahhabite mais qui mènent déjà d'importantes actions sociales sur le terrain. De plus, leur prosélytisme a pu prendre un tour agressif et transgresser les traditions philanthropiques locales. Les organisations caritatives saoudiennes ont notamment placé les orphelins dans des centres fermés plutôt que de favoriser leur parrainage ou leur adoption suivant les pratiques anciennes et éprouvées du kafala. Résultat, les orphelinats qu'elles gèrent ont souvent été suspectés d'endoctriner et de préparer des enfants vulnérables à la guerre sainte (jihad). D'une manière générale, les ONG islamiques n'essaient pas de rester neutres et certaines sont allées jusqu'à s'engager politiquement aux côtés des mouvements de lutte armée musulmans à travers le monde.

Dans une large mesure, les interventions « humanitaires » des Saoudiens dans des pays en guerre ont ainsi été conditionnées par la nature confessionnelle des belligérants. Elles se sont d'abord développées avec la résistance des moudjahidine contre l'Armée Rouge en Afghanistan ou la sécession moro aux Philippines dans les années 1980, puis le conflit tchétchène, l'implosion de la Somalie et la crise de la Bosnie et du Kosovo dans l'ex-Yougoslavie au cours de la décennie suivante. Du fait de leurs engagement politiques, les ONG islamiques ont entretenu des liens étroits avec les belligérants du côté musulman, quitte à les soutenir militairement sous prétexte de les ravitailler. Fondé par le prince Salman bin Abdulaziz et parrainé par le roi Fahd bin Abdulaziz al-Saoud, le Haut Commissariat saoudien pour l'aide à la Bosnie et la Somalie (Saudi High Commission for Aid to Bosnia and Somalia) a par exemple été suspecté d'avoir supervisé un trafic d'armes entre les deux pays. Les soupçons de détournements ont été attisés par l'opacité de ses programmes humanitaires, qui ne correspondaient guère aux 561 millions de dollars prétendument engagés en Bosnie depuis 1992. En octobre 2001, les bureaux de l'organisation à Sarajevo étaient finalement investis par les forces de l'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord), qui mettaient la main sur des plans et du matériel visant à falsifier des badges d'accès pour des édifices gouvernementaux aux Etats-Unis, notamment le Département d'Etat ; un employé algérien était alors incarcéré sur la base américaine de Guantanamo à Cuba.
 

Des ONG islamiques sur la sellette depuis les attentats de septembre 2001
Les attentats d'al-Qaïda contre l'ambassade américaine à Nairobi en août 1998 puis les tours du World Trade Centre à New York en septembre 2001 ont bien entendu contribué à braquer les projecteurs de l'actualité sur les ONG saoudiennes. Dès septembre 1998, les autorités kenyanes ont ordonné la fermeture pendant quatre mois des bureaux de la fondation Ibrahim bin Abdulaziz al-Ibrahim, qui gérait un hôpital pour aveugles à Mombasa, sur la côte swahili, et des cliniques quasi-gratuites à South B et Eastleigh, deux quartiers de Nairobi à dominante somali. Avec le traumatisme de septembre 2001, bien d'autres ONG saoudiennes ont ensuite été accusées par le FBI (Federal Bureau of Investigation) d'avoir couvert des activités terroristes, à commencer par la fondation al-Haramayn et l'organisation Wafaa, une structure basée au Pakistan et financée par les Saoudiens pour aider les Afghans. Les liens de parenté de certains employés « humanitaires » avec Oussama bin Laden ont évidemment retenu l'attention, tels son beau-frère Mohamed Jamal Khalifah, directeur de l'IIRO (International Islamic Relief Organisation) à Manille jusqu'à son expulsion par les autorités philippines en novembre 1994, et son demi-frère Abdullah bin Laden, directeur américain des bureaux de l'Assemblée Mondiale de la Jeunesse Musulmane en Virginie jusqu'à son arrestation en septembre 2001.

La fondation de « l'assistance bénie » (Muwafaq al Khairiya) constitue un cas d'école à cet égard. Sa totale opacité et sa couverture transnationale ont d'abord éveillé la suspicion. On trouve en effet trace de la structure avec différentes orthographes en divers endroits du monde. Après avoir commencé à travailler de façon informelle au Soudan, la fondation est d'abord établie par Yassim Abdullaziz al-Qadi en juin 1991 sous le nom de Muwaffaq Limited sur l'île de Man, un paradis fiscal qui ne contraint pas les ONG à dévoiler leurs sources de revenus. En mai 1992, la structure est ensuite enregistrée sur l'île de Jersey, autre paradis fiscal, et annonce l'existence de bureaux à Islamabad et Peshawar au Pakistan. De février 1993 jusqu'en septembre 1995, une fondation Muwafaq est également identifiée dans le Delaware, un des Etats américains les plus libéraux et les plus accueillants pour les capitaux étrangers, quitte à ne pas être trop regardant sur leur provenance et leur destination. Dans des pays comme l'Allemagne, l'Autriche, l'Ethiopie, le Soudan ou les Philippines, il existe par ailleurs des branches constituées en associations locales et appelées Blessed Relief en anglais. Chargée de transférer des fonds à des factions islamistes, le siège de la structure internationale, lui, est impossible à localiser précisément, si bien que les services américains ne l'inscriront même pas sur la liste noire des organisations terroristes après les attentats de septembre 2001.

De fait, le caractère transnational et mouvant de l'institution protège la fondation Muwafaq des investigations policières. Le FBI (Federal Bureau of Investigation) se heurte en l'occurrence à une coquille vide lorsqu'en décembre 2001, il accuse officiellement Yassim Abdulaziz al-Qadi d'avoir couvert les activités terroristes d'al-Qaïda. Cité par le journaliste David Pallister dans le Guardian du 16 octobre 2001, ce dernier, dont le nom est parfois orthographié Yassin Kadi, affirme qu'il a fermé l'organisation en 1996 alors que l'entité apparaît toujours active en 1998 au Soudan, en 2001 à Jersey et à la même époque en Suisse, où les autorités lanceront une procédure judiciaire en 2004 et gèleront vingt millions de dollars sur les comptes du président de la fondation. Les enquêtes menées dans des pays en développement n'aboutiront guère plus. Suite à l'arrestation au Pakistan en février 1995 de Ramzi Yousef, cerveau des premiers attentats contre le World Trade Centre à New York en février 1993, la police a ainsi fouillé en vain les bureaux de la fondation Muwafaq à Islamabad et emprisonné son directeur local, Amir Mehdi, relâché au bout de trois mois faute de preuves quant à son implication dans des réseaux terroristes. En Ethiopie, les autorités ont pareillement expulsé les ONG saoudiennes après la tentative d'assassinat du président égyptien Hosni Moubarak, imputé à des islamistes soudanais, lors d'une visite officielle à Addis-Abeba en juin 1995. Mais le magazine britannique Africa Confidential a ensuite perdu le procès qui l'a opposé pendant six ans aux responsables de la fondation Muwafaq, dont il avait prétendu qu'un ancien employé éthiopien comptait parmi les suspects de l'attentat.

De nombreux éléments montrent pourtant que l'organisation a cautionné la violence et financé des mouvements de lutte armée. Ont notamment été soutenus le Hamas en Palestine, les islamistes d'al-Itehad en Somalie, les combattants musulmans en Bosnie, la guérilla kosovare dans ses bases arrières d'Albanie et le groupe Abu Sayyaf aux Philippines, où les bureaux de la fondation Muwafaq à Manille ont été ouverts en octobre 1994 par Mohamed Jamal Khalifah, le beau-frère d'Oussama bin Laden. L'appui à des mouvements combattants a été plus ou moins direct suivant les cas de figure. La fondation Muwafaq s'est parfois contentée d'envoyer des fonds. A partir de 1991, elle a ainsi financé un représentant du Hamas aux Etats-Unis, Mohamed Saleh, ou Muhammad Salah. Etabli à Oak Lawn dans la banlieue de Chicago, un institut d'enseignement de l'islam, le Quranic Literacy Institute, a servi de paravent pour convoyer l'argent de la fondation, qui a en partie été placé dans des lotissements du comté de DuPage. Originaire de Jérusalem, où il logeait dans une chambre de la YMCA, Mohamed Saleh a été arrêté par la police israélienne en janvier 1993 et accusé d'avoir transféré $100 000 aux combattants du Hamas à Gaza et en Cisjordanie. La justice américaine s'est alors saisie de son cas et a fini en 1998 par geler les avoirs du Quranic Literacy Institute.

Dans les pays en guerre, la fondation Muwafaq a aussi pu s'engager plus directement aux côtés des belligérants, soit des insurgés musulmans, soit des gouvernements fondamentalistes comme au Soudan et en Afghanistan. Dirigée à Khartoum par Abdul Rahman, un fils de Yassim Abdullaziz al-Qadi, sa succursale soudanaise a notamment coopéré avec la junte islamiste, arrivée au pouvoir par un coup d'Etat en 1989 et en lutte contre des rebelles non musulmans dans le sud. La fondation Muwafaq a pris partie dans le conflit, tant et si bien qu'en 1996, plusieurs de ses employés ont été assassinés dans la région de Malakal, à proximité des lignes de front. Elle a également été accusée d'exploiter les populations déplacées amenées à travailler dans ses fermes commerciales, essentiellement des Dinka proches de l'opposition armée. D'après l'historien Douglas Johnson, son directeur sur place a par exemple essayé d'interdire les distributions alimentaires dans les villages avoisinants afin d'empêcher les agriculteurs de quitter ses plantations et d'aller cultiver leurs terres pendant la saison des semailles puis des récoltes. Autre cas de figure, la fondation Muwafaq a été impliquée aux côtés de mouvements rebelles. En 1993, elle a d'abord été soupçonnée d'amener en Somalie des islamistes soudanais pour chasser de Mogadiscio les troupes américaines déployées dans le cadre de l'Opération restore Hope. En 1995, l'organisation a ensuite été accusée de faciliter le transport vers les lignes de front des combattants musulmans en lutte contre les Serbes et les Croates en Bosnie. Dans le même ordre d'idées, explique Roland Jacquard, elle aurait profité de sa présence auprès des réfugiés kosovars en Albanie pour financer les volontaires qui s'enrôlaient dans l'Armée de libération du Kosovo, l'UCK (Ushtria Clirimtare E Kosoves).

Depuis lors, un parfum de scandale a entouré les ONG islamiques, y compris celles qui n'entretenaient pas de liaisons dangereuses avec des mouvements terroristes. La réputation exécrable de fondations comme Muwafaq ou al-Haramayn, dont les Etats-Unis ont obtenu la fermeture en juin 2004, a rejailli et jeté l'opprobre sur l'ensemble du mouvement humanitaire musulman, quitte à ternir l'image d'initiatives louables. De pair avec les pressions diplomatiques de la communauté internationale, la monarchie saoudienne a certes essayé de réagir et de remettre de l'ordre dans les ONG islamiques, l'objectif étant de réguler formellement un secteur qui bénéficiait auparavant de la protection officieuse du pouvoir grâce à des relations de confiance personnelle. En 2003, l'administration a ainsi centralisé la distribution des donations des particuliers et imposé aux sociétés de bienfaisance de demander préalablement l'autorisation de tr ansférer de l'argent à l'extérieur du pays. Un projet de loi a par ailleurs prévu de punir d'une peine allant jusqu'à quinze ans de prison le blanchiment d'argent sale sous couvert d'action humanitaire. Mais un climat de suspicion continue de peser sur les ONG islamiques. L'opacité du secteur associatif, conjugué à l'obscurantisme de la monarchie saoudienne, ne rassure guère la communauté humanitaire internationale. C'est notamment sur leurs efforts de transparence que les ONG musulmanes seront dorénavant jugées.